HONTANAR

Sur une petite place ensoleillée de la vieille ville d'Uzès, les passants, alertés par le bruit agressif / angoissant d'un éboulement de pierres, découvrirent Hontanar, un duo signé par Olga de Soto (que celle-ci danse, dans une affinité parfaite, avec sa complice, Pascale Gigon). En correspondance avec la charge poétique de l'écriture de Réné Char, Olga de Soto inflige aux corps, vêtus de bleus de travail, l'expérience douloureuse et salvatrice de la déconstruction, qui se déploie dans un temps en apparence suspendu, entre répétitions et ruptures crissantes, dans un espace en fuite. Le jeu violent, auquel donnent sens ces corps disloqués et entiers simultanément, déstabilise les conventions liées à la danse verticale ou horizontale. Les danseuses caressent et se heurtent au mur, l'escaladent et se laissent, avec fluidité (la tête en bas parfois), couler. Ici, le mouvement donne aux corps la force de défier les blessures qui les rongent et favorise le surgissement d'une plénitude joyeuse, presque provocatrice.

Jean-Marc Lachaud, Skênê n° 2-3, Mélange des Arts — Arts du spectacle, Le corps : exhibition / révélation (FR), 1998

 

Le spectateur doit organiser deux plans de perception. L'un, gestuel, où les deux jeunes femmes se meuvent avec lenteur, debout, puis au sol, puis contre le mur, escaladant celui-ci tête en bas. L'autre, sonore, où des rochers roulent précautionneusement, écrasant avec application quelque chose comme du verre ou du sable, dans une mélodie infinie et matérielle, insinuant l'angoisse de la blessure à force de frottement. (…) Comment admettre les danseuses qui, en bleu de travail, dessinent trois plans, le premier, sans surprise, vertical, conformément à la norme dominante, le second, horizontal, où les figures, données debout, sont comme aplaties, raccourcies, le troisième enfin, contre le mur qu'elles escaladent à l'envers, dans une phrase « grimpée-coulée », disent-elles, tête en bas, renversant le monde, déjouant la pesanteur ? Elles parcourent ces trois plans en boucle, comme le son ; la manipulation visuelle des dimensions de l'espace renvoie à la distorsion acoustique de l'espace auditif. (…) Le visuel et l'auditif sont comme deux lignes sur une même portée. D'où jouissance.

Jean-Jacques Delfour, Corps membranes, CASSANDRE, Septembre-Octobre, 1997

 

La lucidité artistique d’Olga de Soto et l’étendue de ses pratiques lui permettent de varier non seulement ses processus de composition et d’élaboration d’une pièce à l’autre, mais aussi les états de corps correspondant à chaque bifurcation de son langage. Ainsi, dans Hontanar (1996), un mouvement discontinu sans accentuation spéciale déclinait une gestuelle parcellaire dont la source était l’appui propageant son énergie à travers tout le corps. Appuis de sols, mais aussi appuis de murs, pris dans la percussion surprenante d’une ruade à l’horizontale : toute la surface du monde n’est-elle pas pour le danseur la scène déployée des chocs gravitaires ? 

Laurence Louppe, Olga de Soto : des passages à la limite, dans la publication Gender : masculin/féminin, sur quel pied danser ?

<