HISTOIRE(S)

Pour toucher l’art chorégraphique d’Olga de Soto, peut-être devrait-on suivre les moyens qu’elle mit en œuvre pour sa [dernière] création : histoire(s), un travail sur le ballet de Jean Cocteau, Le Jeune Homme et la Mort, 1946. Soit ne pas chercher la reconstitution, ni la réinterprétation, mais prendre des chemins de traverse, plus discrets, enquêter pour se mettre sur les traces des rares premiers spectateurs, des survivants en somme, et donner la parole à leurs souvenirs, souvenirs-écrans, trous de mémoire jusqu’à ce que ressurgisse leur histoire personnelle. Et là, s’apercevoir qu’ils sont nombreux à avoir oublié ce qui est au coeur de la pièce : la mort. Ce que raconte cette fable d’une hallucination collective, c’est que la danse – ou le souvenir qu’on en garde – est une garantie contre la mort quand bien même elle est le sujet de la pièce et serait inscrite dans le titre. Le constat n’est pas mince, qui révèle le véritable statut de chorégraphe-interprète d’Olga de Soto, chercheuse, historienne, au plus près de son sujet et nous permet de comprendre ce qui se joue entre ses propres créations, notamment Par une main ou par le vent mais l’air est immobile ou Éclats mats et les univers aussi distincts de Boris Charmatz pour qui elle fut interprète et Jérôme Bel qu’elle assista sur The Show Must Go On.

Laurent Goumarre, Paroles de Chorégraphes, Centre Pompidou

 

Écrans multiples aussi pour une autre enquête, menée par la chorégraphe Olga de Soto, autour du « Jeune Homme et la Mort » de Cocteau et Roland Petit. Un dispositif simple mais occupant intelligemment l’espace y met remarquablement en valeur les témoignages d’une dizaine de spectateurs ayant assisté à la première en 1946. À la frontière des genres, Olga de Soto réussit là un petit miracle d’humanité et de sensibilité.

Jean-Marie Wynants, Ici, l'électricité n'est pas statique, Le Soir (BE), 24 Mai 2004

 

Le parti pris tranché de cette œuvre nous permet de vivre une expérience extraordinaire. Les portraits des spectateurs de l’époque, aujourd’hui très âgés, sont extrêmement fascinants.

Pieter T’Jonck, Le Souvenir de la danse, Ballettanz International (DE), 2005

 

Olga de Soto s’est lancé aux trousses de cette éphémère qu’est par essence la danse. Au départ, une commande du Culturgest de Lisbonne : un hommage au « Jeune Homme et la Mort », ballet mythique de Roland Petit sur un argument de Jean Cocteau. La chorégraphe publie une petite annonce, trouve des spectateurs de la création, au Théâtre des Champs Elysées le 25 juin 1946. Entre en contact, en filme certains. L’objet, qui voit le jour en juin 2003, pourrait prendre de l’ampleur ; il en prendra. Le Kunstenfestival lui propose de finaliser sa recherche pour une création en mai 2004 : histoire(s)  est né. (…) Fascinant et follement riche aussi des strates qui s’y révèlent. Car si elle se résume à un montage de face-caméra, à une vaste projection vidéo (scénographiée et diffractée sur divers écrans conçus par Thibault Vancraenenbroeck), la performance donne paradoxalement à voir ce dont elle ne fait que parler. Au fil des témoignages, la pièce se recompose. Les mots, hésitations, silences, souvenirs épars des huit intervenants filmés débordent ce cadre premier. Le champ s'élargit. On plonge dans l'Histoire. Celle du siècle dernier, de cette guerre à peine finie quand le ballet fut créé. Celle des hommes et des femmes arrivés jusqu'ici. Âgés, forcement, ils parlent de la mort, sujet du ballet vu dans leur jeunesse, ce soir-là. Temps et mémoire se percutent, dans leur fragilité, leurs subjectivités magnifiques. En filigrane s'esquissent huit portraits, en pointillé surgissent des points de vue parfois scintillants sur le spectacle en générale et pourquoi y aller, tandis qu'aux spectateurs d'aujourd'hui se posent naturellement la question éternelle des traces que nous gardons - ou non - de ce que nous voyons. Contours épurés pour un mille-feuille passionnant.

Marie Baudet, Théâtre de traces, La Libre Belgique (BE), 18 Mai 2004

 

Histoire(s) est un spectacle particulièrement beau qui grâce à son infaillible humanité est bien plus qu'un documentaire. C'est une chronique artistique sur des vies humaines qui a le mérite d’éviter avec aisance les pièges du sentimentalisme.

Elke Van Campenhout, Reconstruction d'un spectacle, De Standaard (BE), 19 Mai 2004

 

Le plus touchant sans doute dans ce documentaire qui est un vrai spectacle, c’est la façon qu’a le spectateur de vivre intensément le moment de la représentation. Hommage à une œuvre qui bouleversera la scène chorégraphique, histoire(s) dit aussi le respect pour le public de danse qui peut changer sa vie parce qu’un spectacle lui a ouvert des horizons. En plein dans le mille du travail de la mémoire et sans prétention.

Marie-Christine Vernay, À la façon d'Olga de Soto, Libération (FR), 1 Octobre 2005

 

Les premières étapes de ce projet naissent à partir de la commande du théâtre de Lisbonne Culturgest. Il demande à la chorégraphe Olga de Soto un hommage au ballet Le Jeune Homme et la Mort, créé sur un argument de Jean Cocteau, le 25 juin 1946. (…) histoire(s) est né autour du constat d’un vide et sur un manque. « Qu’est-ce que rendre hommage ? ». A cette question posée par la chorégraphe, nous pouvons en ajouter d’autres que la pièce inévitablement suscite. Qui désigne la postérité de l’œuvre chorégraphique ? Comment s’y reporter, à quel titre, lorsque de l’œuvre en question manquent et le texte – l’écriture chorégraphique – et la chair – la pratique dansée, le travail de l’interprète ? (…) Comment envisager un hommage, lorsqu’on ne peut tisser aucune relation avec l’œuvre ? (…) Le statut ambigu, de l’œuvre chorégraphique – texte, pratiques, chair, événement-, qui n’a jamais fini de soulever de multiples interrogations, est ici remis en question. Avec histoire(s), Olga de Soto décide de travailler sur l’œuvre à partir du constat de son aura. Elle restitue la pièce dans un contexte particulier, le soir de la première (…). De manière inédite par rapport à maintes créations récentes qui interrogent enjeux, pratiques et motivations inhérents à la fabrication de toute proposition chorégraphique, elle décide de poursuivre le chemin à l’envers et de s’ancrer au cœur de la perception de l’œuvre, de l’expérience singulière du spectateur. (…) histoire(s) situe l’œuvre chorégraphique dans une dynamique de pensée qui empêche toute fixation et en légitime multiples lectures et « retextures ».

Claudia Palazzolo, Corps à corps avec l'histoire, Vertigo - revue d'esthétique et d'histoire du cinéma (FR), 2005/2

 

Là, l’étoffe du drame palpite. Et la grâce n’est plus lambeaux, dans ce spectacle qui touche comme un album de famille soudain animé, où les rides des aïeux s’effaceraient, gommées par l’amour de l’art, l’amour, tout court. Dans histoire(s) – c’est ainsi qu’Olga de Soto a titré son roman du spectateur – des visages filmés de près disent combien le théâtre de la nuit console les méfaits du jour. (…) Que racontent-ils alors de si précieux ? Que le théâtre révèle la vie. Qu’il est notre mémoire. Qu’il est ce lieu où on trouve les ressources pour affronter les deuils. (…) Il se pourrait donc que l’art donne la force de marcher sur les ruines. C’est la leçon de ces enfants du paradis. Jamais ils ne pontifient. Parfois, ils se taisent. À la fin du Jeune Homme et la Mort, raconte l’un d’eux, il y eut un silence. Comme si chacun faisait « chut ». C’est toujours comme ça, les romans qui brûlent : quand leur chute survient, on n’a plus de mots. Plus tard, ils galopent en nous, c’est une folie. Ils composent nos légendes intérieures. Elles sont notre insolence quand la solitude nous accable.

Alexandre Demidoff, La mémoire des enfants du paradis, Le Temps (CH), 31 Mars 2007

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