Elke Van Campenhout
RECONSTRUCTION D'UN SPECTACLE

Histoire(s) est une odyssée qui nous mène vers la création d’un spectacle de danse présenté pour la première fois il y a cinquante-sept ans. Étant donné qu’il ni a plus d’enregistrements de ce moment ni des feuilles de salle, seuls restent les souvenirs des spectateurs accidentels. Tout au long du spectacle nous ne verrons pas l’œuvre initiale, mais la manière dont elle vit encore dans la tête d'une poignée de témoins de cette première.

Nous sommes en 1946, quelques centaines de spectateurs assistent à la première représentation du Jeune homme et la Mort de Jean Cocteau. Un spectacle légendaire, semble-t-il, avec des prouesses exceptionnelles du danseur étoile Jean Babilée.

La chorégraphe Olga de Soto prend cette œuvre comme point de départ pour réaliser une reconstruction minutieuse. Elle publie une annonce dans Le Figaro invitant des spectateurs de l’époque à prendre contact avec elle. Leurs souvenirs et témoignages parfois très disparates et fragmentés, alimentent le spectacle.

Les personnes interrogées apparaissent sur des écrans de taille différente. Le montage semble simple : durant le spectacle nous nous familiarisons avec les voix des différentes personnes, alors que chacune essaye d'organiser ses pensées à sa manière.

Pendant que cette première représentation du Jeune Homme et de la Mort arrive difficilement à convoquer des images du spectacle au début, les interviewés évoluent au fur et à mesure vers une vision plus différenciée et plus fortement analytique de ce qu'ils ont vu ce soir de 1946 à l'Opéra. Et même si Le jeune homme et la Mort prend forme lentement dans nos têtes, ce sont surtout les témoins qui sont intéressants. Ils parlent parfois avec hésitation alors que des petits détails de leurs salons nous révèlent des éléments de leurs personnalités et des interprétations différentes apparaissent entre leurs témoignages. Tout cela aide les spectateurs à voir des personnes en chair et en os surgir progressivement. Ces personnes âgées, avec un passé long et mouvement derrière, témoignent non seulement d'un spectacle, mais aussi de l’expérience partagée de la guerre et des amours de leurs vies.

Dans la mise en scène, leurs histoires sont projetées sur des grands et des petits écrans. À un moment donné, l'image est partiellement capturée par une interprète qui tient un petit support de projection, comme si la chorégraphe voulait réorganiser les images homogènes des entretiens par le biais de différentes approches. Elle créé ainsi des accents, opère des agrandissements et permet des interprétations.

Histoire(s) est un spectacle particulièrement beau qui grâce à son infaillible humanité est bien plus qu'un documentaire. C'est une chronique artistique sur des vies humaines qui a le mérite d’éviter avec aisance les pièges du sentimentalisme.

Elke Van Campenhout, De Standaard (BE), 19 Mai 2004