Francis Cossu
L'ÉTÉ DES HIVERNALES (2/4) : OLGA DE SOTO

Sans concession, comme mot d'ordre, sous-tend les Paumes que présente Olga de Soto. Un travail de fourmi qui fait avancer la danse. A pas de géant.

On le sait, c'est de Belgique, (où vie la chorégraphe d'origine espagnole) qu'émerge, après la France jusque vers la fin des années 80, de nouvelles formes de danses contemporaines. Souvent plus radicales dans la façon de penser le mouvement. Débarrassées des artifices de la littérature quand il s'agit d'aborder la représentation.

L'ombre, noire sur fond blanc, d'une geste perpétuelle plane dans le studio comme une épée de Damoclès sur les danseuses. La course d'un balancier (scénographie de Thibault Vancraenenbroeck) menace de sa présence lente et réfléchie. Car enfin, il s'agit de savoir ce que l'on fait sur un plateau (pourquoi danser ?), sinon...

Véritable tête chercheuse, Olga de Soto accompagnée de Pascale Gigon (à la prestance impeccablement légère dans ces graves instants), tente, dans ce cycle, une approche visuelle de la musique contemporaine de Denis Pousseur ou de Salvatore Sciarrino et une écoute musicale du mouvement.

Un solo, Murmures, et deux duos, Winnsboro Cotton Mill Blues et Seuls bruits des corps entre eux explorent (pendant une heure, trop courte) les zones d'ombres et de lumières architectoniques de ces compositions souvent mal connues.


Quand l'oeil écoute
Le propos semble complexe, voir aride, mais la danse, elle, est d'une limpidité lumineuse. Pour preuve. Olga de Soto est allongée. Elle se lève. Marche, et fend l'espace d'un mouvement (jusque là perclus dans un coin de la mémoire corporelle) qui part, tendu vers le haut. Si le geste est irradiant de simplicité et d'évidence, c'est qu'il ne naît pas du concept. Il semble, bien au contraire, s'échapper du corps pour fouiller, dans des singulières abstractions sensuelles, les résonances inouïes des sens qu'il peut produire.

Rouge. Après une lumière douce, la couleur (que l'on doit à Gaëtan van den Berg) détonne. La danse étonne quand les danseuses jouent du mouvement comme les pianistes informent la musique. Le geste déchiffre la partition et donne corps aux mouvements (terme savoureusement commun aux deux expressions artistiques !). D'ailleurs, les bassins qui ondulent au son des cordes frappées ne (dé)montrent-ils pas que la musique vous prend aux tripes, avant tout ?

Le noir du dernier duo proposé met en perspective, avec pertinence, l'ombre et la lumière. Force, simultanément, l'écoute et la vision d'un corps qui pense en vibrant.

Tout tient en haleine. Jusque dans le souffle des danseuses qui nous rappelle, sans que l'on puisse y déroger, qu'il ne faut pas hésiter à faire l'expérience du voir, là où c'est le moins évident. Une démarche trop rare à côté de laquelle il ne faut pas passer.

Francis Cossu, L'été des Hivernales (2/4) : Olga de Soto, La Marseillaise, 19 Juillet 1998